Qu'est-ce qu'un·e modèle vivant·e ?
Les modèles vivant·es posent souvent nu·es, ou partiellement nu·es, pour aider les artistes à dessiner l’anatomie, à tracer des lignes appropriées et à pratiquer leurs compétences artistiques. La pose s’étend sur une période prolongée et fournit une série de gestes, positions et postures pour mettre en valeur différentes parties du corps, montrer les muscles, les angles et les formes naturelles. Le domaine du modelage encourage et accueille toutes les tailles et formes de corps – la variété donne à l’artiste plus de pratique, de variation et de représentation de la vie quotidienne. Puisque le dessin d’après modèle vivant consiste à capturer la figure humaine, il est important de disposer d’une variété de formes, de tailles et de caractéristiques d’âge.

La force d’une pose de modèle vivant·e est la capacité à rendre invisible, aux yeux de ceux·celles qui regardent, certains gestes et mouvements qui sont au cœur de l’existence humaine. L’élément le plus important pour travailler en tant que modèle vivant·e est la compréhension que le corps est un objet d’art.
La pose : un geste de travail immobile

Poser, c’est prendre des postures corporelles figées qui donnent à voir aux dessinateurs·trices un corps humain « vivant », autrement dit, étymologiquement, « en mouvement ». On voit là une double contrainte qui est au cœur du travail des modèles : « Poser, c’est donner vie à un corps immobile pendant un laps de temps », explique Morgane au sujet d’une pose qui a duré de longues minutes. Qu’il s’agisse de poses courtes (quelques secondes) ou de poses longues (plusieurs heures), maintenir un mouvement immobile nécessite une action pour contenir le corps. C’est ce que révèle l’expression « tenir une pose » que les modèles emploient.
Pour les modèles, loin de l’image de passivité associée à leur travail, poser demande un engagement et une implication. « C’est la première fois que je me suis autant attardée sur la forme de mes pieds », se confie Émilie.
Cet attrait marqué pour le dessin d’après modèle vivant·e pour les artistes rappelle la volonté héritée de la Renaissance de fouiller la nature afin de comprendre son essence, comme chez Léonard de Vinci, Michel-Ange ou encore Dürer. Imiter le naturel n’est-il pas l’un des graals de l’artiste ?
L’histoire du Nu
L’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris (1648) est l’institution originelle du modèle vivant·e, dont les Carrache, à Bologne, avaient notamment contribué à diffuser la pratique dans les ateliers. Malgré l’évolution du dessin d‘après modèle vivant·e, cette pratique reste longtemps réservée à une élite d’artistes et d’amateurs·trices au regard de la cinquantaine d’écoles de dessin qui sont fondées au cours du XVIIIe siècle en France. De même, avoir l’autorisation de « poser le modèle » constituait un privilège en France jusqu’à la Révolution ; il fallait en obtenir l’autorisation.
D’après de nombreux écrits, le patrimoine des écoles d’art ne prend sens que s’il est compris dans son rapport au corps vivant et sa matérialité, bien souvent éloignée des canons de la plastique gréco-romaine. L’étude du nu à partir du modèle vivant·e revêt alors une telle importance dans la formation française que les écoles d’art privées qui naissent à Paris au XIXe siècle fondent leur succès sur cette pratique, et la rendent libre.
De nombreuses œuvres littéraires témoignent de l’obsession des artistes pour l’imitation du corps vivant. Le peintre Claude Lantin, héros de L’Œuvre d’Émile Zola (1886), s’interroge : « Très épatant tout de même le nu […]. Et ça vibre et ça prend une sacrée vie, comme si l’on voyait le sang couler dans les muscles (ZOLA Émile, L’Œuvre, Paris, Fasquelle, 1967 [1886], p. 17 et 330)

Un retour d’expérience
Pour conclure, seuls les dessins d’après le·la modèle vivant·e pourraient être à même de rendre compte de la confrontation au corps vivant, si essentielle à l’artiste en ce qu’elle permet de comprendre sa propre singularité, mieux que l’objet ou le paysage, dans la mesure où le corps est l’intime par excellence.
Crédits images :
- Intérieur de l’atelier de M. Regnault, dessinateur inconnu, vers 1800. Dessin à la plume et lavis à l’encre de Chine, aquarelle (30 x 50 cm), conservé à la Bibliothèque nationale de France (Réserve FOL-VE-53 D), Paris Crédits : Reproduction BnF. URL: http://journals.openedition.org.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/insitu/docannexe/image/30031/img-5.jpg
- Jeune homme nu assis au bord de la mer, Hippolyte Flandrin (1809-1864), 1836. Huile sur toile (98 x 124 cm) conservée au musée du Louvre (inv. MI171), Paris. Crédits : Reproduction C2RMF. URL : http://journals.openedition.org.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/insitu/docannexe/image/30031/img-7.jp
- L’Atelier de Bouguereau à l’Académie Julian, Jefferson David Chalfant (1856–1931), 1891. Huile sur panneau de bois (28,5 x 36,8 cm) conservée au San Francisco De Young Museum (inv. 1979.7.26), San Francisco. Reproduction San Francisco De Young Museum. Crédits : Reproduction San Francisco De Young Museum. URL: http://journals.openedition.org.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/insitu/docannexe/image/30031/img-12.jpg