La création plastique à l’ère de la dématérialisation numérique

Académie des Arts Appliqués

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L'œuvre d'art est traditionnellement conçue comme l'incarnation d'une forme ou d'une idée dans une matière ou un matériau– comme le bois, le marbre, la pierre ou les pigments de la peinture. Cependant, dès le départ, l'art se trouve marqué du sceau de la dématérialisation, dans la mesure où elle participe à « l'Idée du Beau » (Platon,Ve siècle av. J.-C).

La digitalisation de l’art

Au XIXe siècle, Georg Wilhelm Friedrich Hegel (philosophe allemand) introduit directement un principe de « dématérialisation » au cœur du processus artistique. L’art ne cesse, selon lui, de s’affiner et de s’alléger, réduisant à presque rien sa dimension matérielle. Musique et poésie permettent ensuite à l’esprit de se dégager encore du matériau, la philosophie fournissant enfin l’occasion d’un affranchissement total de la matière

À la fin des années 1950, Yves Klein (artiste français) se fait le défenseur de l’immatériel. Toiles monochromes (à partir de 1955), exposition « du vide » (1960), ou projet (avec Claude Parent) d’une « architecture de l’air » (1962) : Klein multiplie les performances et les propositions visant à spiritualiser et dématérialiser l’ensemble du processus artistique et plastique.

En 1985, l’exposition Les Immatériaux, au Centre Pompidou, conçue par Jean-François Lyotard prend en compte la manière dont les nouveaux médias et les nouvelles technologies transforment la matière. L’art se nourrit d’images (photographies, affiches, vidéos, images numériques), qui sont en permanence véhiculées, transportées au cœur des réseaux de communication planétaires.
(Source : Florence de MÈREDIEU/Image : IstockPhoto).

Les outils d’information et de communication des œuvres d’art se renouvellent perpétuellement, et l’œuvre devient, conjointement, de plus en plus dépendante de ses outils qui la permettent d’être véhiculée. Le développement d’Internet, l’apparition de galeries et de musées virtuels, la multiplication des sites d’artistes, ont profondément modifié la situation matérielle des œuvres.

Au fil du temps, la muséographie elle-même se transforme. L’art sur Internet présente, sous forme d’images ou de reproductions, les œuvres du répertoire de l’art mondial, mais aussi d’autres créations directement destinées aux réseaux sociaux et à une diffusion en ligne. Le marché de l’art lui-même est tenu aujourd’hui de prendre en compte ces évolutions.

(Image : IstockPhoto)

Le contenu et le contenant

Pour de nombreux·ses artistes et scientifiques, les éléments qui constituent sa valeur dans un art plus « classique », (éléments de forme, de fond, d’originalité liée à la vision intérieure de l’artiste, de création formelle), semblent ne compter plus guère dans l’art contemporain. L’essentiel est maintenant la réflexion que l’œuvre implique.

Ainsi, le « contenant » s’est déconnecté du contenu. La dématérialisation de l’art est liée au fait que le discours sur l’œuvre est devenu l’essentiel de l’œuvre. Le discours à la place des œuvres, les mots à la place des choses.

Quel est ce discours sur l’œuvre devenu plus important que l’œuvre elle-même ? Celui d’abord des artistes eux·elles-mêmes dont l’œuvre n’existerait pas s’ils·elles ne l’expliquaient ou ne donnaient les outils pour le faire, puis celui de tous·tes les spectateurs·trices qui vont « faire l’œuvre », à travers leurs interprétations, les conservateurs·trices, curateurs·trices, critiques, esthéticiens·iennes, collectionneurs·euses, amateurs·trices…

On n’est donc pas enfermé·e dans un monde de signes parce que l’art ne s’occuperait plus de réalité – au contraire beaucoup d’œuvres dénoncent des situations politiques, sociales, discriminatoires – mais parce que le propos est devenu plus important que la réalisation.

L’histoire de l’art pourrait de son côté continuer à évoluer par opposition, comme elle l’a déjà souvent fait, allant d’un extrême à l’autre. On reviendra peut-être vers des œuvres, bien sûr différentes du passé mais de nouveau « à contenu intrinsèque », où le travail sur la forme et l’expression de soi face à soi, face aux autres ou face à la nature seront étroitement liés.

Derrière la dématérialisation actuelle de l’art et la montée en puissance des enjeux de la réalité virtuelle se profile un phénomène général de « déréalisation » dans notre société. Alors l’un des nouveaux défis actuels est un retour vers le réel. Et pour l’appropriation de ce réel, pour l’artiste qui crée comme pour l’amateur·trice qui regarde, les arts sont essentiels.

(Image : Unsplash)